La chance

APC_0122Je me suis réveillée avec une nouvelle vidéo sur comment bien vivre son confinement. J’ai retenu deux choses : respirer en carré et trouver du positif dans le confinement. Le maître mot c’est de se rassurer. J’ai de la chance.

C’est vrai, j’ai de la chance. Je ne suis pas infirmière obligée de bosser en sous-effectif, remerciée par le pouvoir, mais obligée de bosser sans masque ou d’en fabriquer.

Je ne suis certainement plus caissière ou employée dans une entreprise qui refuse de fermer, ou qui ferme en prenant sur mes RTT (vous avez l’impression d’être en vacances ?), ou qui me licencie. Je ne suis pas non plus comme tous ces livreurs d’Amazon ou de Deliveroo qui se tuent pour livrer les autres.

Je suis simplement prof. Une prof crevée et usée. Avec le télétravail, j’ai l’impression de faire un boulot qui a encore moins de sens. Je parle à des ordinateurs, laissant les autres sur le côté en faisant semblant que je produirais seulement du savoir. Mais j’ai de la chance, de la chance de m’assurer encore un minimum de liberté, feignant de croire que je ne suis pas surveillée.

Ce matin, ça hurlait dans mon immeuble : des cris déchirants de femmes qui se font bousculer, frapper. Ce n’est pas la première fois que ça arrive et je sais déjà qu’avec le confinement tout va s’accélérer. Bien sûr quand j’entends ces cris, j’ai une boule dans l’estomac. Mais j’ai de la chance, parce que ces femmes-là ne sont plus moi. Moi, j’ai seulement des souvenirs et des souvenirs ça ne tue pas.

Je me dis que j’ai de la chance, parce que j’ai trois mètres carrés de plus que dans mon ancien appartement parisien. Et trois mètres carrés ça fait cinq pas en plus quand tu tournes en rond. L’année dernière j’avais un dégât des eaux que je n’arrivais pas à faire réparer car j’avais 3000 euros d’impayés de loyer, du coup mon appartement sentait l’humidité et j’avais peur que le mur de la salle de bain s’effondre. Je sais que j’ai de la chance car quand j’ai eu mon concours j’ai pu faire un prêt pour rembourser.

Non je sais que j’ai de la chance. Non, le problème c’est mon corps. C’est mon corps qui me lâche en permanence. Il se décompose petit à petit, les bouts de peau s’arrachent, les paupières se collent. A force de frotter mes mains les unes contre les autres, elles sont rouges de l’eczéma qui s’est formé entre chacun de mes doigts.

Non c’est mon corps qui me lâche, qui s’affaisse, qui souffre. Le problème c’est mon corps et les douleurs qui s’y installe en particulier dans la poitrine. En particulier du côté gauche. Du côté du cœur. Mais mon cœur n’a rien. Peut-être qu’il prévoit lui aussi de s’emmerder.

Dehors il y a du soleil, et je me dis que je pourrais sortir. Je n’ai pas de jardin mais dans ma résidence, il y a un bout de parking avec de l’herbe, je pourrais aussi me faire une attestation pour sortir un tout petit peu plus loin.

Je ne suis pas certaine d’y arriver, d’avoir la force de croiser un flic, de lui montrer un papier, de l’aider à se sentir dans son bon droit. Je ne suis pas certaine d’avoir la force de faire comme si tout ça c’était normal et juste, je n’ai pas le courage non plus de croiser le SDF à côté de l’Intermarché.

Alors je me roule en boule et j’essaye de respirer en carré. Je me dis que la pensée positive c’est vraiment de la merde.

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