L’angoisse

APC_0121Ca faisait un moment que j’avais laissé tomber le Je. Le Je qui en 2020 ne peut certainement plus être Autre. Le Je-égoïste. Le Je-égocentrique. Le Je-de-mon-corps-névrosé. Pour oublier un peu l’écriture thérapie. Pour arrêter d’écrire sur mon corps, sur le viol, sur mes angoisses. Sur la folie. La mienne ; celle des autres, surtout celle des autres pour ne pas voir la mienne.

Et pourtant c’est Je qu’on confine, alors je n’arrive pas à écrire sur Elle. Elle qui est Autre, et qui ne peut être que moi. C’est Je qu’on isole des autres. C’est Je qui tourne en rond et qui écoute les battements de son cœur, pour vérifier qu’il n’en manque pas. Il n’en manque pas. Est-ce qu’il est plus rapide ? Non. Est-ce que ce souffle est normal ? Oui. Peut-être. Finalement, je ne sais pas.

Une chose est certaine : je vais probablement crever ici. Oui bien sûr je sais ce qu’ils disent. C’est pas la guerre, bande d’égoïstes. C’est quoi ta guerre à toi ? Rester sur le canapé en regardant Netflix ? Fumer des pétards en attendant que ça passe ?

Celui qui dit ça n’a de toute évidence jamais connu la dépression. Dans mon appartement, il n’y a pas de canapé. Il y a mon lit. Sur mon lit, je mange, je me masturbe, je travaille, j’écris (parfois), je dors (pas souvent).

A 31 ans, je viens de découvrir que je vis seule. C’est un choix pourtant, mais je viens de découvrir ce qu’il signifie. Cela veut dire : mourir seule d’empoisonnement, d’une maladie inconnue, d’une fuite de gaz, du fascisme qui vient. J’ai aussi peur de crever que de ne pas crever : je suis coincée entre cette peur de mourir et cette peur de vivre de la même façon que je suis coincée entre la peur que les gens que j’aime m’abandonne (une peur sourde et violente) et la peur d’engagée une quelconque relation profonde et qui fasse sens. Je suis confinée depuis dimanche et je le vis mal. Je vis mal les injonctions. Je vis mal d’être cloîtrée. Je vis mal la télévision, je vis mal le discours des politiques, je vis mal. Je pleure tous les jours, alors j’appelle des gens. Je suis en errance de parole, et pourtant je voudrais du silence. Je voudrais que ma tête se taise et qu’elle arrête de dire que je vais crever.

J’ai regardé une vidéo de merde qui nous dit comment bien vivre le télétravail. Je crois que les règles c’est de ne pas traîner en pyjama chez toi et surtout de te faire une routine. J’ai envie de me promener en pyjama chez moi. De me coucher par terre, le dos sur le sol de fermer les yeux et d’attendre que ça passe. Je suis fatiguée d’attendre l’inéluctable maladie. J’ai peur d’infecter mes proches, mais surtout qu’on m’oublie.

Je vais sur les applis de dating, comme je joue à Candy Crush dans le métro, de manière automatique. Je vois des corps s’étaler devant moi, comme je vois les notifications s’étaler sur mon écran de téléphone. Je ferme les yeux et je fantasme sur l’idée de lire à nouveau. D’arrêter de consommer les autres comme on consomme des marchandises. Je suis lucide à peu près sur ma capacité à être une connasse.

Je sais que j’ai mal quand on ne me répond pas. Mais je sais aussi que j’ai mis trois jours à répondre à cette meuf, dans l’espoir secret qu’elle abandonne. J’écoute petit à petit mon cœur exploser comme s’il était une bombe à retardement. Je vis mal le confinement et je n’ai pas vraiment d’excuse. Je suis en bonne santé. Je ne semble pas avoir de symptômes hormis ceux que j’imagine. J’ai une connexion internet, un peu d’espace, un lit de la bouffe et depuis ce matin du chauffage chez moi. Mais quand ma tête bourdonne ma peau s’enflamme et gonfle. La peau tire et gratte violemment. Mes lèvres tremblent. Ma respiration est saccadée. Alors j’attends que ça passe. Ca ne passe pas.

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